II. QUEL AVENIR POUR LA FRANCHISE EN TUNISIE ?

Vraisemblablement, le législateur tunisien a préféré suivre l’exemple français en adoptant cette loi en question en ce sens que le législateur français avait déjà adopté une loi analogue à savoir  la Loi Doubin qui sans être spécifique à la franchise la concerne de très près, dans la mesure où les rédacteurs de cette loi se sont inspirés de plusieurs autres lois portant sur la franchise. À cette loi et son décret d’application est venu se joindre le règlement communautaire 2790/1999 remplaçant le règlement de la CCE N°4087/88. En revanche, le droit américain semble mieux servi en matière de législation sur la franchise que son homologue français dont la situation est assez « désertique ». En effet, depuis le 21 octobre 1979 on a assisté à l’entrée en vigueur d’une loi spécifique au franchisage connue sous le nom de full discloser Act. Cette loi conserve une importance capitale notamment pour l’influence qu’elle est appelée à exercer sur les pays de la communauté européenne et le cadre légal protectionniste qu’elle offre au franchisé.

Toutefois, l’analyse du cadre légal est réglementaire régissant la franchise en Tunisie révèle que le législateur a opté pour un texte général réglementant les formes les plus utilisées en Tunisie du commerce de distribution à savoir le commerce de distribution en général, les centres commerciaux, les centrales d’achat et les contrats de franchise. Dans ce cadre, la question qui se pose est celle de savoir si cet assemblage juridique de certains modes types de distribution et notamment l’insertion du contrat de franchise parmi ces différentes formes de distribution était la bonne option législative à adopter (A). De même, l’étude de la pratique au cours des cinq dernières années de l’application du cadre juridique de la franchise et notamment la délégation faite au pouvoir exécutif, à savoir le ministère de commerce, de fixer la liste des activités exemptés systématiquement de l’autorisation du ministre de commerce, ainsi que sa main mise sur toute la procédure tendant à l’octroi de la dite autorisation laisse à désirer et reste critiquable pour différentes raisons qu’en tentera d’explorer ci-après (B).

  A. Un cadre légal inadapté, incomplet et limité :

En premier lieu, le cadre légal de la franchise en Tunisie, malgré les prétentions que ses rédacteurs veulent lui attribuer, reste inadapté à même la nature juridique du contrat de franchise telle quelle est confirmée dans la pratique internationale qui renie toute tentative de la ramener à un simple contrat de distribution.

Cet état de fait se dégage Tout d’abord de la définition donnée par le législateur tunisien qui s’est voulue incomplète en ce qu’elle néglige, d’une part, deux éléments essentiels à la franchise : à savoir le contrôle du franchiseur et l’aspect de collaboration. En effet, l’étude des diverses propositions de définition avancées par la doctrine ou certaines institutions professionnelles démontre bien la difficulté d’établir une définition assez complète de la franchise, bien que ces tentatives étaient plus réussies que celles du législateur tunisien. Il en est ainsi, par exemple, de la définition proposée par la Fédération Française de la Franchise ou celle donnée par la Fédération Européenne de la Franchise lesquelles  marquent mieux l’aspect de la collaboration et l’avantage concurrentiel inhérents à la relation de franchise ainsi que le pouvoir de contrôle reconnu au franchiseur. De même, elles soulignent bien le caractère préalable du savoir-faire et l’obligation mise à la charge des franchisés de respecter les normes du franchiseur. Cependant, elles demeurent elles aussi incomplètes, comme d’ailleurs d’autres essais de définition, puisque insistant sur un aspect particulier de la franchise tout en négligeant d’autres aspects. D’autre part, cette définition semble ne reconnaitre que les opérations visant « la distribution de produits» ou «la prestation de services» et omet de ce fait les franchises de production et/ou les franchises industrielles pour ne citer que celles-là. Certes, le contrat de franchise est un contrat de distribution, mais il ne l’est pas toujours et uniquement. Vraisemblablement le législateur a consciemment omis ces dernières sortes de franchise pour la simple raison que la loi en question est relative au commerce de distribution comme son nom l’indique. Ce faisant, le législateur tunisien dénature la réalité juridique de la franchise en l’emprisonnant dans un sanctuaire légal.

Ensuite, cette définition met trop l’accent sur la notion de commercialité du réseau franchisé alors même qu’une telle condition n’est pas nécessaire à la qualification du contrat de franchise. Le titre même de la cette loi est très équivoque et notamment l’emploi du terme «commerce» de distribution dans diverses dispositions de cette loi et dans l’article 14 al. 3 définissant le réseau franchisé. De surcroit, de toutes les tentatives de définition de la franchise qu’on a eu à consulter, d’aucune n’a retenue le critère de commercialité comme élément substantiel à sa reconnaissance. Il s’ensuit que bien que la quasi-totalité des réseaux de franchise soient composés de commerçants, ce n’est pas la nature du contrat. À preuve, le champ d’application de la franchise peut aller jusqu’à contenir des activités civiles (artisanales, agricoles ou libérales) et qu’au demeurant la qualité de commerçant n’est pas requise pour l’exercice de la franchise d’où il serait plus pertinent de qualifier les parties au contrat de franchise d’entrepreneurs plutôt que de commerçants.

Ces critiques se confirment par ailleurs pour les deux raisons suivantes :

  1. Le contrat de franchise est un contrat complexe et original

          Innovation contractuelle, la franchise l’est sûrement. Il s’agit, cependant, d’une innovation qui a réussi la fusion d’un certain nombre de mécanismes contractuels connus. Située entre les contrats de mandat, de vente, de louage et de société, la franchise étonne par son originalité et sa complexité. C’est ce dernier aspect qui rend son étude loin d’être aisée.

Cette complexité découlant de la nature même de la franchise est accentuée par la complexité des relations entre le franchiseur et le franchisé. À ce propos, on a toujours souligné que le contrat de franchise est une technique de collaboration commerciale où franchiseur et franchisé cherchent à fidéliser une clientèle au concept du franchiseur, mais il n’en demeure pas moins que chacune des parties poursuit la réalisation de certains objectifs qui lui sont propres. En pareil cas et en présence d’intérêts divergents des deux parties, les conflits ne peuvent que s’installer. Cette situation est inévitable puisqu’elle se rattache à la nature même de la franchise où l’équilibre des prestations est difficile à réaliser, ce qui rend l’analyse des relations entre franchiseur et franchisé assez délicate et pleine d’embûches.

  1. Le contrat de franchise se distingue des autres contrats de distribution

L’ambiguïté que recèle le contrat de franchise et les rapprochements fait par la jurisprudence et la doctrine à d’autres contrats proches et notamment les contrats de distribution expliquent dans une certaine mesure l’option législative tunisienne d’inclure le contrat de franchise dans une loi générale relative au commerce de distribution. Il reste, cependant, que la franchise se distingue nettement de ces contrats pour les raisons suivantes :

  • Hormis le cas de la franchise, les distributeurs ne sont pas soumis à l’obligation de payer une redevance initiale lors de leur entrée dans le réseau.
  • Le distributeur conserve plus d’indépendance dans la mesure où il n’est soumis à aucun contrôle comme c’est le cas du franchisé, et de ce fait les questions de la protection de l’adhérant au réseau et de l’équilibre des prestations entre les parties ne se posent pas vraiment dans les contrats classiques de distribution ou du moins ne s e posent pas avec la même acuité.
  • Aucune condition de « commercialité » n’est exigée pour l’exercice de la franchise comme on l’a souligné précédemment, et ce, contrairement aux autres contrats de distribution où le distributeur est généralement un commerçant.
  • Au demeurant, contrairement à la franchise, tous les autres modes de distribution n’entraînent pas un transfert de savoir-faire : le concessionnaire, le distributeur voir même le représentant commercial ou les propriétaires des commerces de distribution visés par la loi objet de notre étude ne peuvent que compter sur leur propre savoir-faire pour mener leur affaires. Cet élément essentiel combiné à l’assistance continue du franchiseur et le payement de la redevance par le franchisé participent à la définition de la franchise, et partant à sa distinction des autres types de contrats de distribution.

Cette complexité et cette originalité, outre toutes les autres raisons qu’on a pu avancer,  appellent, donc, à réserver à la franchise un intérêt particulier qui sort des sentiers battus des autres contrats de distribution. C’est la raison pour laquelle tout un travail a été élaboré par UNIDROIT qui a donné naissance au Guide sur les accords internationaux de franchise principale. Bien que le « Guide » s’applique en bonne partie aux accords de franchise principale, il intéresse par ailleurs toutes les autres sortes d’accords de franchise. A ce titre, l’intérêt du travail d’harmonisation d’UNIDROIT est plus que recommandable pour les législateurs nationaux, et notamment le législateur tunisien, qui sont appelés à s’y inspirer pour pallier les imperfections de leurs droits internes. Mais, au-delà de ce rôle, le « Guide » se veut un instrument d’avant-garde pour « appréhender des questions qui sont déjà traitées par les législations nationales mais qui revêtent une importance marquée dans le domaine du franchisage » comme c’est notamment le cas en matière de propriété intellectuelle.

Cette inadaptation du cadre juridique actuel de la franchise, se révèle aussi au niveau de la procédure à suivre en vue de l’obtention de l’autorisation du ministre de commerce pour les franchises internationales. Ainsi, le respect de la procédure implique en règle générale que la plus diligente des parties dépose une demande auprès du ministère de commerce pour l’obtention d’une autorisation lui permettant de se conformer aux exigences de l’article 6 de la loi sur la concurrence et prix ; laquelle demande est soumise obligatoirement par le ministre de commerce à l’avis du Conseil de la Concurrence. A cet effet, il est intéressant de souligner que le Conseil de la Concurrence dans le cadre de sa mission consultative obligatoire a opté pour une méthodologie d’analyse au cas par cas et ce contrairement à l’approche de l’autorité de la concurrence en France qui se caractérise par une analyse en bloc. Cette approche est fondée sur la règle de raison qui tente de mettre en balance les effets favorables et contraires à la concurrence des différentes restrictions verticales. Cette approche a été confirmée par l’Assemblée plénière du Conseil dans son avis n°82218 du 26/11/2008, relative à une demande d’exemption collective d’un contrat-cadre de représentation exclusive dans le secteur de distribution de presse et revues étrangères.

Cependant, cette démarche bipolaire impliquant tant le ministère de commerce que le Conseil de la Concurrence dans un même dossier n’est pas compatible avec la célérité recherchée dans le monde des affaires et fondamentale à sa survie, dans la mesure où certaines demandes d’autorisation prennent quelques années (entre 2 et 3 ans) pour être délivrée ce qui est un délai trop long et peu être néfaste autant pour le franchiseur que le franchisé qui ont investis des sommes considérables dans le projet de franchise et se trouvent confrontés à une attente forcée qui leur coute cher. Même, si dans certains cas on tolère le commencement de l’activité avant l’obtention formelle de l’autorisation du ministre de commerce, le problème demeure entier puisque le franchisé ne saura satisfaire à ses obligations monétaires et notamment le payement des royalties dans la mesure où leur transfert est subordonné à la communication à la banque centrale de  la dite autorisation.

A ce titre, il serait intéressant de prendre l’exemple français en matière des attributions à accorder à l’autorité de la concurrence. En effet, la position adoptée en France depuis 2012 suite à l’adoption de la Loi n°2012-1270 du 20/11/2012 modifiant l’article L420-4 du Code ce Commerce français a rendu les exemptions libres à condition de prouver l’apport économique et technique de la franchise en question, ainsi que son intérêt pour le consommateur, le tout en respectant les recommandations de l’autorité de la concurrence en la matière. Ainsi, le titre II du livre IV du code de commerce français s’en trouve ainsi modifié.
Il est inséré un article L. 420-2-1 ainsi rédigé :  « I. Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L.420-1 et L.420-2 les pratiques : 1° Qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ; 2° Dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte (…) .

III. ― Ne sont pas soumis aux dispositions de l’article L. 420-2-1 les accords ou pratiques concertées dont les auteurs peuvent justifier qu’ils sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte. »

En second lieu, le cadre juridique tunisien de la franchise reste incomplet et limité.  Il en est ainsi, des obligations réciproques des parties au contrat de franchise en ce que le législateur tunisien s’est contenté d’annoncer des principes généraux sans pour autant établir un vrai régime juridique de la relation de franchise. Même le Décret N° 1501-2010 du 21 Juin 2010 portant fixation des clauses minimales obligatoires des contrats de franchise ainsi que des données minimales du document d’information l’accompagnant, qui était censé apporter des clarifications aux diverses lacunes laissées par la loi du 12/08/2009, nous a laissé sur notre faim dans la mesure ou il s’est contenté lui aussi d’exposer des obligations générales de part et d’autre, sans se soucier d’en déterminer l’étendue et les limites de sorte a laisser la porte ouverte aux diverses interprétations et à l’émergence d’une énorme latitude au profit du pouvoir exécutif dans leur application. Dans cette même veine, il nous semble étonnant voir inadapté et inapproprié de réglementer des rapports contractuels privés d’une telle envergure par un simple texte de nature réglementaire. Il en est de même de la question de l’obligation précontractuelle d’information qui était censée être réglée par ce même texte réglementaire, sans pour autant y parvenir convenablement, en ce que plusieurs éléments fondamentaux à la réalisation du consentement éclairé du franchisé n’ont pas été traité ou abordés de manière générale et trop imprécise ; ce qui nous amène à nous demander quel pourrait être l’avenir de la franchise en Tunisie et quelles sont les solutions à envisager pour y parvenir ?